Jean Sala - catalogue raisonné
Jean Sala 146

Réception critiques

Dans une vision à court terme, être présent au Salon et voir son nom inscrit au livret de la mani- festation représentaient une double victoire qu’améliorait sensiblement un bon emplacement sur les cimaises. Mais tel n’était pas toujours le cas, bien des cartels portant les noms des auteurs et les titres des œuvres se sont dérobés chaque année aux yeux des visiteurs. La seule chance était alors de retenir l’attention d’un journaliste attentif, un de ceux qui citerait quelques dizaines de noms parmi les centaines d’artistes présents, aidant son prochain, ou tout au moins celui qui lui faisait confiance, à trier le bon grain de l’ivraie, et indiquant à la postérité ce qui eut l’heur de plaire. Sala sut susciter l’intérêt de critiques nombreux et d’opinions variées ce que prouveront à loisir les extraits qui suivent et les signatures qui les accompagnent.

Jean SALA - La Rosée

Quand le Soleil a bu, sur la cime des bois,
La fraîcheur des baisers que l’aube chaste y pose,
La rosée erre encore aux buissons, et parfois,
Se pend, frileuse perle, aux lèvres d’une rose.

Du premier souvenir immortelle douceur !
Frêle perle d’amour au temps cruel ravie !
Ainsi chacun de nous porte, au fond de son cœur,
Un pleur tombé du ciel à l’Aube de la vie !

Mais ce n’est pas de la mélancolie lointaine du souvenir qu’est faite cette vision charmante de jeunes femmes, dans l’éclat lilial d’une virginale nudité, buvant, au calice des fleurs sauvages, les gouttes tremblantes qu’y a laissées le matin, celle-ci penchant vers son visage la branche toute épanouie, celle-là se penchant elle-même pour respirer, en même temps, le parfum de toutes ces fraicheurs exhalent, les cheveux dénoués et aidant par leur poids, au mouvement de sa belle tête inclinée ; ce pendant qu’une de leurs compagnes qui veut boire, par tous les pores, cette douce fraicheur, s’est nonchalamment étendue dans l’herbe haute, ramenant vers elle tous ces calices délicats, en répandant la liqueur limpide sur ses beaux seins qui semblent, eux-mêmes, de lourdes fleurs renversées.

Et, plus loin, dans une brume diamantée où passent des scintillements, c’est un chœur visible à peine de promeneuses pareilles venant comme les abeilles mouiller, d’invisibles ailes à ce bain délicieux. C’est la gloire du Matin qui enveloppe leurs formes chastes et charmantes, éveillant autour d’elles, l’hymne qui monte tout ensemble vers le soleil et vers la beauté.

Avec des pâleurs de rose trémière,
La fleur du jour s’ouvre à l’horizon clair,
Et monte, en semant aux voiles de l’air,
En ruisseaux d’argent, ses pleurs de lumière.

Comme un vol léger de papillons blancs
S’éparpille autour d’un essaim de nues,
Secouant encore, à leurs ailes nues,
Du cœur d’or des lys les duvets tremblants.

Dans un ciel plein d’ombre une fleur pareille
Porte les clartés de mon jeune amour.
Rêves et parfums flottent alentour
Comme au bleu lever de l’aube vermeille.

Ne sont-elles pas pareilles à nos jeunes amours, ces vierges qui accourent des horizons obscurs mais s’éclairant soudain à leur approche, de notre Rêve !

Ces frêles et douces images qui se penchent sur nos cœurs comme sur des fleurs à peine ouvertes et portant en elles, dans nos premières tendresses, l’image du ciel ! Que n’avons-nous suivi leur vol sans demander davantage à la vie que l’amour qu’elles nous ont donné de la Beauté, sans leur demander d’autres caresses que ce baiser furtif où se consume le meilleur de nous-même, comme s’évapore, en un moment, la goutte de rosée !

Du premier souvenir immortelle douceur !
Frêle perle d’amour au temps cruel ravie,
Heureux qui garde encor dans le fond de son cœur,
Un pleur tombé du ciel à l’aube de la vie !

Jean SALA – La Rosée

O Matin vermeil qui descends,
Les marches d’azur des collines,
Et jusque vers la plaine inclines
Ton faisceau de rayons naissants !

O Faucheur des ombres semées,
Aux sillons obscurs de la Nuit,
L’or vivant qui, dans tes mains luit,
Vient des étoiles amassées.

Dans le champ des cieux parcourus,
Comme le moissonneur sa gerbe,
Tu nous fais le soleil superbe,
De tous les astres disparus,

Et cueillant des fleurs de lumière,
O Matin, as-tu respecté,L’étoile de qui la clarté
Sur mon front brilla la première ?

L’astre pâle et silencieux,
Qui s’envole aux pieds de l’aurore,
Et que mon Rêve cherche encore
Au profond du jardin des cieux ?

Ah ! que jamais ta main cruelle
Ne touche cette fleur d’amour
et n’effeuille, aux flammes du jour,
Cette rose spirituelle !

O Matin lorsque tu viendras
Consoler la terre épuisée,
C’est aux larmes de la rosée
Que, seul, tu te reconnaîtras !

Car la rosée est descendue, ou mieux elle monte du pays des sèves et des rêves, posant sur les pétales tremblants, sur les feuilles déjà luisantes, des petits diamants où s’irise la clarté naissante au soleil, à cette heure mystérieuse où les dernières étoiles s’enfoncent, dans l’azur plus pâle, comme de longues flèches d’or.

Que de fois j’ai cueilli, les tenant précieusement et toutes droites, pour que pas une goutte n’en tombat, des fleurs dont la corolle était pareille à un calice où les abeilles, sans doute, seraient venues boire, à l’heure de cette messe exquise que les bourdons sonnent de tout le bruit velouté de leurs ailes, où les libellules accourent, pareilles à d’élégantes dévotes qui suivent, de loin, ces éternels muscadins que sont les papillons ! Et les coccinelles semblent des enfants de chœur, sous leur petite chappe rouge et luisante, courant dans l’herbe comme des enfantelets.

Voici que les encensoirs bleus des clochettes sauvages se balancent, que les fourmis processionnent par les chemins, que la piété de toutes les petites bêtes, des moindres insectes, remercie le Dieu obscur qui rend la lumière !

Et c’est comme une bénédiction, tombant des mains invisibles, que la rosée, faite de gouttes d’eau bénite certainement, descend sur toutes les extases matinales de l’univers ressuscité.

Jean SALA – La Toilette

Pour qui, Madame, tordez-vous ainsi, au-dessus de votre tête, les lourds cheveux qui s’y amoncèlent comme une nuit ? Pour qui rafraichissez-vous aux baisers, vivifiants de la lumière, votre beau corps allangui, sans doute, un instant auparavant, dans la douceur du sommeil ? Que m’importe, puisque ne voyant pas votre visage, je ne sais si vous êtes quelqu’une que j’aie aimé par aventure, et qui m’ait juré une éternelle tendresse. Je serai cependant glorieux de vous compter parmi celles qui m’ont ainsi menti. Car je ne crois pas qu’aucun trésor soit comparable à celui dont vous me permettez seulement l’ironique vue, celui de vos épaules doucement mon tueuses, de vos reins divinement souples, de vos hanches en leur postérieur et pudique épanouissement. Oncque n’ai-je désiré, dans ma vie, autre fortune que celle-là. Fortune fragile, cependant, comme toutes les autres, et dont je ne suis plus riche aujourd’hui !

Que nous ayions été amants ou non, en des temps qu’à coup sûr, je regrette, je n’en dirai pas moins, une hymne à votre beauté ; souvenir ou simple hommage, suivant le cas, mais toujours également sincère.

Femme, je veux mouler deux coupes sur ton sein,
Pour enivrer mes yeux de leur beauté jumelle,
Et, comme un nourrisson qui pend à la mamelle,
Y boire lentement le doux sang du raisin.

Sur ta croupe je veux mouler un grand bassin
Où l’art du ciseleur savamment entremêle
Des femmes et des fleurs – un étrange dessin –
Tout un poème, ainsi qu’un chant de Philomène.

Sur ton col où ta main laisse choir tes cheveux,
J’imiterai l’amphore à la courbe suave :
Je sauverai ton corps de l’oubli, car, je veux

Qu’en retrouvant l’argile où ta forme se grave,
Le poète s’écrie aux âges inconnus :
Ce trésor fut pétri sur le corps de Vénus !

et encore :

Sur tes reins caressant mes yeux,
Comme vers la mer sans rivage,
S’embarquent pour le cher voyage
De ton corps superbe et joyeux.

Comme une vague qui s’élève,
Blanche, dans l’éther azuré,
Ta croupe, au long reflet nacré,
Jusqu’aux cieux emporte mon rêve

Et, par le flot poussé toujours,
Jusqu’à tes pieds divins, j’y pose
Mes lèvres sur le corail rose
De leurs ongles aux fins contours.

Vous voyez, Madame, que, si vous m’avez été bonne vous n’en avez pas à rougir. Car l’hommage d’un poète est encore le reliquaire où se conserve le mieux, pour l’immortalité, le souvenir des belles d’ici-bas.

À noter également […] En train de plaisir de Sala. Ce coin de wagon est bien amusant ; nous avons tous vu cet ouvrier qui dort, cette vieille femme son panier sur les genoux, et ce monsieur à lorgnon qui roule une cigarette en regardant par la portière.

Jean SALA – L’Été

Sous le frisson vivant des saules
Et, sous les caresses de l’air
Baisant le velours de ta chair
Et le nacre de tes épaules :

Tes beaux pieds nus dans les roseaux
Dont la cîme, en tremblant, t’effleure.
O Toi qui livrais, tout à l’heure,
Ton corps à l’étreinte des eaux,

N’entends-tu pas, sous la ramure
Où s’abrite ta nudité,
Jusqu’à toi monter le murmure
Triste flot trop tôt quitté.

Arrêtant, sur ta tête blonde,
Le voile à tes bras suspendu,
Ecoute ce que te dit l’onde
Qui pleure le trésor perdu :

– “Toi qui, sous les feux de l’Aurore
Et tous les souffles apaisés,
Livras ta grâce à mes baisers,
Ne me la cache pas encore :

Dans mon sein, que fit ta Beauté
Plein d’un mystérieux hommage,
Laisse descendre ton image
En sa divine pureté.

Sans que ta chair auguste y plonge
Tout entière, comme à l’instant,
De son beau contour éclatant
Laisse moi, du moins, le mensonge !

Avant que ton pied triomphant
Sonne, en s’éloignant, sur la grève,
Laisse moi plus longtemps le rêve
De ton beau corps souple d’enfant !

Toi qui, sous les feux de l’Aurore,
Et sous les souffles apaisés,
Livras ton corps à mes baisers,
Ah ! ne le voile pas encore !”

SALA, Jean, Peintre espagnol, Associé à la Société nationale des Beaux-Arts. Atelier : 23, rue des Martyrs, Paris 9e.

[…] Élève de M. Gustave Courtois, [M. Jean Sala] cultiva surtout le nu et la figure. Parmi les principales œuvres, exposées par l’artiste aux divers Salons de la Société Nationale, citons : en 1893, “La Rosée ; ce titre sert de prétexte à une curieuse étude de nu, vrai régal pour les amateurs” ; en 1895, Bouquineur ; en 1897, Daphnis et Chloé, toile appartenant au Musée de Weimar (Allemagne) ; en 1898, Les Miséreux et Au bord de l’eau, “étude de nu présentant des lignes lumineuses très étudiées”. En 1899, paraissait Mater Amorosa ; en 1901, Juillet ; en 1902, La Main chaude, Carmen, Étude “brillantes figures, puissamment éclairées ; la lumière resplendissante qui auréole ces jeunes beautés leur attire toutes les sympathies du public et fait valoir le talent de l’artiste”. Au dernier Salon (1904), l’on remarquait aux pastels “une gamme puissante de couleurs, irradiant le visage gracieux d’une jeune femme : Après le bal ; puis à la peinture, nous retrouvons de merveilleux éblouissements de lumière, tombant sur de prestigieuses beautés féminines : Diane, Printemps sont des œuvres qui exaltent la jeunesse, en laissant éclater la luxuriance et la richesse de la palette d’un coloriste”.

M. Sala prit encore part à toutes les expositions que prépara l’Association des Peintres Espagnols à Paris,

depuis 1902 : cette année (1902), le peintre envoyait quelques “études, éclatantes de lumière : Juillet,

Farniente, Été

; en 1904, les envois du peintre étaient ainsi appréciés : M. Sala se montre toujours vibrant coloriste ; le peintre sait auréoler ses charmants modèles d’une lumière étincelante que nous admirons dans Printemps, Junon (1), Carmen, Têtes d’étude, etc. Le Portrait d’Odette et Jacques C. est encore un travail à signaler ; les enfants heureusement groupés en des attitudes d’un naturel charmant, sont brillamment expressifs : c’est une belle œuvre de plus à l’actif du peintre.

En 1895 [sic, 1896], le peintre a fait une exposition de ses œuvres à la galerie Laffitte, rue Laffitte. À l’Exposition de Moulins en 1896, il obtenait une Médaille de deuxième classe ; à l’Exposition Internationale de Lyon, en 1894, il remportait une Médaille de Bronze ; une autre Médaille de Bronze lui était encore décernée à l’Exposition d’Angers. Enfin M. Sala obtenait une Médaille de Bronze à l’Exposition universelle de 1900.

(1) Cette toile appartient à M. Leblanc, de Lille (Nord).

“Frisson”. Par Jean Sala (Société nationale des Beaux-Arts)

This is a remarkable picture in the Beaux Arts, and as it represents, with great skill, a certain phase of French artistic thought, we have, without hesitation, ventured to reproduce it there. It may be said to reflect, in a somewhat unrestrained fashion, the “Vertige”, the Salon sensation of a few years ago. The following description of it has been penned by one who has been impressed by its cleverness, though repelled by its realism : “From a background of tropical foliage, a woman in a beautiful evening-gown stands out facing us ; a dangerous woman to be alone with in a dim conservatory, and you can note her dark, passionate face, and eyes that gleam with a world of meaning in the faint light. Standing rather behind her in deeper shadow, and holding her left hand, is the inevitable man. You can discern his figure, but not his face, for he is bending over the woman and kissing her – shoulder ! Through the glass doors in the ball-room, another couple come waltzing by, and they see clearly, as they pass, the comedy (shall we say ?) of the conservatory. The good-looking man is hardly interested, he laughs cynically it appears, for the situation is amusing, although not new, et voila tout ! But his partner, what shall we say of her ? With an effort, it seems, to tear herself away from her companion, and to stop, and with her agonised face turned back over her shoulder, to the scene she understands too well, she is carried away in the whirl of life and music and dance, bowed down with misery and despair. Altogether it is a damnable picture, butmost wonderfully clever

"Frisson" - par Jean Sala (Société nationale des Beaux-Arts)

Cette peinture exposée au Salon des Beaux-Arts est remarquable, et comme elle représente, avec beaucoup de talent, une certaine phase de la pensée artistique française, nous avons, sans hésiter, décidé de la reproduire ici. On pourrait dire qu’elle reflète, de manière non refrénée, le « Vertige », la sensation du Salon d’il y a quelques années. La description suivante a été écrite par quelqu’un qui a été impressionné par son intelligence, mais rebuté par son réalisme : « Dans un décor de verdure tropicale, une femme dans une élégante robe de soirée nous fait face ; une femme avec laquelle il est risqué de se retrouver dans la pénombre d’une antichambre, et l’on peut remarquer son visage sombre et passionné et ses yeux brillants dans la pénombre, éloquents de sens. Debout, derrière elle, dans une pénombre encore plus profonde, et tenant sa main gauche est l’Homme, inévitable. On peut discerner sa silhouette mais pas son visage car il se penche en avant pour faire un baiser sur l’épaule de la femme ! À travers les portes fenêtres de la salle de bal, un autre couple valse, et voit distinctement la comédie (dirons-nous ?) qui se déroule dans l’antichambre. L’élégant monsieur est à peine intéressé, on dirait qu’il rit avec cynisme car, si la situation est amusante, elle n’a rien de nouveau et voilà tout ! Mais que dire de sa cavalière ? Il semble qu’elle fait un effort pour se dégager de son compagnon et s’arrête pour regarder, le visage emprunt d’angoisse, par-dessus son épaule, une scène qu’elle comprend trop facilement pour finalement être emportée dans le tourbillon de la vie, de la musique et de la danse – courbée par la misère et la douleur. En réalité, c’est une peinture condamnable, mais extraordinairement intelligente.

Essayez donc un peu, si vous voulez écrire une histoire complète de la beauté féminine, et tracer un tableau complet et séduisant du romanesque, de vous passer de l’Espagne !

Certes, si on faisait un plébiscite entre ceux qui ont le culte de la femme et l’amour de l’amour, il est probable que Béatrix viendrait sur les listes électorales à une bonne distance de Carmen. Le sourire de la Joconde en dépit de son attrait pour les cœurs timides et les âmes méditatives, fascine moins sûrement que les œillades de ces diablesses que sont les Gitanas, et aux lys les plus suaves il est peu d’hommes qui ne préfèrent la rouge fleur de Grenade.

Les femmes elles-mêmes, si elles disaient toujours la vérité, reconnaîtraient la Sorcellerie de celles que dédaigneusement elles qualifient de moricaudes. Mais si les grâces pures et réservées des anges étaient des causes de rivalité plus redoutables, on les verrait, au lieu de vanter cette douceur, entonner un éloge hyperbolique des Espagnoles.

Fasse donc la moue qui voudra et déclare que les beautés d’Espagne sont conventionnelles et de redite ! D’ailleurs parler ainsi est sacrifier à un autre genre de lieu commun, et pour le moins aussi usé. Que l’on se croie original en proclamant qu’on en a assez de reconnaître que le jour est plus brillant que le crépuscule, que le poivre est poivré et que l’Andalouse ensorcelle. Pour nous, tenant à l’originalité plus grande de ne pas confondre la banalité avec la vérité vraie, nous croyons que ni Hugo, ni Gautier, ni Musset n’étaient des bêtes de rimer des strophes en l’honneur des beautés d’au-delà des monts, et nous trouvons un agrément extrême, soit de désir, soit de souvenir, lorsque nous rencontrons un bon peintre qui nous trace de ces fleurs sauvages une image à la fois séduisante et véridique.

Monsieur Jean Sala, qui expose dans les Salons du Figaro un choix étincelant de ces images, est un de ces peintres là. Il a eu une grande hardiesse, dont il sera récompensé par le public : sentant joli, et capable d’exprimer d’une manière flatteuse, tout en demeurant minutieusement exact, il ne s’est pas cru obligé de mettre son talent au-dessus ni au-dessous de sa sensation personnelle. Il a franchement pris son parti de charmer, et il y a réussi sans effort, quoiqu’en mettant dans la réalisation de cette tentative un droit extrême et en employant les moyens les plus délicats qu’il avait à sa disposition.

Quand vous allez en Espagne, vous pouvez, à votre gré, trouver, soit les noiraudes et falotes créatures, soit les radieuses et les mordantes. Il suffit pour cela de diriger votre vision et votre intention dans un sens ou dans l’autre. Au reste qui n’avouera que la même expérience n’est pas de tous les jours en plein Paris ?

Quel est le Parisien un peu expert qui ne pourra se charger de prouver à l’étranger qu’il pilotera, que toutes les femmes à Paris sont laides – ou bien que toutes sont délicieuses ? – Avec un peu de conviction, soit dans un esprit de rancune, soit dans un esprit de reconnaissance, il n’aura point de peine à rencontrer à chaque pas des preuves de l’une ou l’autre thèse.

Bien plus. Il peut tour à tour, les démontrer toutes les deux. C’est ce qu’a fait pour la femme Espagnole le grand Goya lui-même, peintre des plus hideuses sorcières pour lesquelles d’authentiques Espagnoles ont servi de modèle, mais aussi portraitiste de la Maja c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus suave, de plus troublant, de plus précieux, de plus capricieux, de plus vainqueur en fait d’image de femme en général, et de femme d’Espagne en particulier.

Monsieur Jean Sala, lui, a délibérément laissé de coté les épouvantails. Il ne veut pas voir la duègne, ni la terrible laide, quelque soit parfois son piment, le pruneau, le morceau de charbon. Il ne fait cas, comme modèles, que des tailles souples, des belles lèvres rouges qui découvrent les éblouissantes dents blanches, des yeux d’émail vivant, des grâces féroces et douces de ces belles bêtes féminines, si ardentes et si saines, qui vont à l’amour comme une bataille et qui s’y attachent comme à une religion.

Danseuses ? Fillettes du peuple allant puiser de l’eau à la fontaine publique ? Demoiselle d’un monde plus civilisé mais non moins passionné ? Guère de différences fondamentales entre tout cela. Un détail de costume peut-être, une allure professionnelle, sans doute. Mais les mêmes yeux, les mêmes dents, les mêmes teints, la même fascination ; à ce point que, demain, cette mondaine pourrait avec désinvolture trousser sur sa jambe nerveuse la jupe courte de la danseuse de fandangos, et que, sans plus d’efforts, la petite danseuse gitane, ignorante et superbe, instinctive et sûre de sa force, deviendrait une grande dame en bien moins de temps qu’il n’en fallut à Jean Sala pour la peindre.

Nous voici donc en présence d’un homme qui a eu le courage de son opinion : Savoir que les filles de Grenade sont jolies d’abord, – et pires ensuite. Généralement les artistes sont réputés audacieux dans la laideur, mais à présent c’est risquer gros que de s’aventurer dans le charme. Il est vrai que le public n’est pas toujours de l’avis des artistes, ni des critiques, et en fin de compte le public n’a pas tort. Rien de banal d’ailleurs dans le joli de Monsieur Jean SALA. C’est trop facile à prouver pour que j’y insiste. Mais je me contenterai de cette raison, entre autres, que le caractère de race est observé avec pénétration et rendu en accents très forts malgré leur douceur. Cette Carmen (essentiellement différente de toutes nos espagnoles d’opéra comique, si bien qu’elles aient chanté) avec son simple châle noir, sa jupe à pois de trois francs, ses accroches cœurs soigneusement lissés, ce rond et frais visage auquel il ne se faut pas trop fier, car vous auriez tôt fait de voir se froncer les narines et s’enflammer les yeux de la tigresse, qui, pour le moment est plus douce qu’une chatte ; – cette Lucie qui semble sa sœur jumelle, et qui dans l’idyllique besogne de puiser l’eau apporte la même conviction qu’on la verra mettre aux besognes du cœur ; – cette autre superbe et âpre créature dont le nom m’échappe, en ce moment, mais qui se drape dans son châle clair aux riches bariolures, comme dans un appel qui serait bordé avec un défi ; – ces danseuses enfin, qu’un jour il le faut bien, nous applaudirons à Paris, mais qui pour le moment font les délices des Séville et des Grenade, car celles-ci en gardent tout de même, et non les moins séduisantes, pour leur propre plaisir ; – toutes ces donneuses de rêves, toutes ces jeteuses de sourires, toutes ces improvisatrices perpétuelles de pas et de cambrures, ne sont pas des figurantes, des déguisées, des modèles à l’heure, comme trop de gitanes peintes de notre connaissance. Elles ont vécu, aimé, vivent et aiment encore aux rives où les laissa M. Jean Sala après avoir obtenu d’elles ce qu’il voulait pour nous le redire.

À cette vérité de types, le peintre a mêlé la vérité de lumière et de coloration. Je ne m’inscris pas contre les Espagnes sombres que d’autres nous ont fait aimer. Cela existe aussi. Mais la lumière extrême, les ciels absolument bleus, les murs absolument blancs, les étoffes absolument orangers ou géranium, n’ont pas moins frappé nos regards, et ne leur ont pas moins laissé l’impression crue et claire, harmonieuse et distinguée pourtant dans l’intense. Quoi que l’on dise, ce ne sont pas des couleurs d’ici. Du reste, vienne un soleil couchant, M. Sala saura en noter l’embrasement, comme il l’a fait dans une de ses délicates vues du Generalife.

De même que pour passer à un autre genre de brasier, après avoir si bien raconté l’Espagnole, il se montrera singulièrement expert à étudier l’allure et les séductions de la Parisienne. Ce souple et sympathique portrait de jeune femme avec un chien favori, cette aimable image de la dame au voile bleu, d’une si heureuse arabesque, sont absolument différentes de nos petites bêtes fauves de tout à l’heure, et pourtant une observation sincère et un pinceau flatteur et agile les a faites tant soit peu sœurs, quoique l’on ne puisse pourtant point dire, à propos d’elles, qu’il n’y a plus de Pyrénées.

On ne sera point surpris de cette double aptitude de M. Sala, lorsqu’on apprendra qu’il est né à Barcelone, c’est-à-dire dans la ville où l’on peut voir les élégances de Paris et les véhémences de l’Espagne se coudoyer avec leur maximum de vie et d’éclat.

Ce sont ces qualités, sans doute, que prisait fort en l’artiste mon regretté ami Coquelin, qui n’était point commode en peinture, et qui estima assez M. Sala pour lui confier le soin de peindre de lui un portrait qui demeure un des documents physionomiques les plus précis et les plus véridiques que nous ayons sur l’acteur.

Je ne saurais terminer sur une meilleure impression et appréciation de l’œuvre de M. Jean Sala.

Le plaisir de ceux qui visiteront l’exposition du Figaro complétera mieux que beaucoup de paroles encore ce que nous aurions pu omettre. Et nous avons omis forcément, car on n’a jamais tout dit lorsqu’on parle de la femme et de ses peintres préférés.

Juan Sala, who is a pupil of Courtois and of Collin, is still quite a young man, but already he has made a name for himself in Europe. This artist is remarkably versatile ; not only he is the successful delineator of Spanish beauties and of Andalusian scenery, but also he understands how to portray the spirituelle Parisienne with a delicacy of touch which, in some cases, recalls the art of Helleu.

It is, however, as a painter of Spanish types of beauty that Juan Sala is best known, outside Spain ; in Paris he has, for some years past, enjoyed a genuine success, and his exhibitions of paintings are always crowded. The Parisian papers have all spoken in words of glowing praise of a certain “Carmen” painted by the artist ; he has more than once depicted the wayward gipsy of Prosper Merimée, but in the picture to which I am now specially alluding, he achieved a sensational success. The conception of this “Carmen” was quite unconventional ; she was not clothed in brilliant colours, nor was she represented as an audaciously alluring creature of fierce and violent passions ; the svelt figure looks almost fragile in its swathed shawl of somber black, and even more sombre is the heavy hair which makes a mysterious frame for her curiously fascinating face. The eyes are brilliant but full of a malicious and subtle fire ; the skin is golden yellow, and the voluptuous lips scarlet as a ripe pomegranate !

Juan Sala is very successful as a portrait painter, two of his finest works in this connection being a striking picture of Coquelin Aîné and of his own wife, who is a brilliant Parisienne

De Faller à Jean Sala, le saut est rude. Cet Espagnol, parisianisé depuis 16 ans et dont le Figaro abrite momentanément les travaux, n’a rien d’âpre. Dieu sait pourtant si les types de gitanes qu’il s’est complu à retracer semblent faits pour tenter un pinceau épris uniquement du moelleux. Si invraisemblable pourtant que paraisse la chose, les gitanes de Sala, quoique caressée que soit la facture de l’artiste, n’ont rien de fade. Il a choisi assurément ses modèles et repoussé ceux dont la note dominante était faite d’une sensualité agressive et bestiale. Celles qu’il nous montre ont sans doute le déhanchement voluptueux particulier à leur race et l’élégance nerveuse qui la caractérise, mais la traduction qu’il en donne reste sobre : on la trouvera même, étant donné les motifs, distinguée, surtout quand l’artiste s’interdit les notes vives et les lumières crues. À ces études de types, il a joint quelques études de paysage justes et fines. On goûtera tout spécialement, dans le nombre, une remarquable vue d’ensemble de Grenade et des coins très joliment troussés.

On verra au Salon un étrange tableau de M. Jean Sala, représentant Polaire en danseuse espagnole ; à ses côtés, MM. Max et Alex Fischer, retour de Siam, jouent, l’un de la guitare, l’autre des castagnettes.

Jean Sala nous prouve que MM. Max et Alex Fischer ont un beau cabinet de travail.

Juan Sala, élève de Courtois et de Collin, est encore très jeune mais s’est déjà fait un nom en Europe. Cet artiste est admirablement versatile ; non seulement il est le peintre à succès des beautés espagnoles et des paysages andalous, mais il comprend aussi comment dépeindre la spirituelle Parisienne avec une touche délicate qui, dans certains cas, nous rappelle celle de Helleu.

Cependant, c’est en tant que peintre de beautés espagnoles que Juan Sala est le plus connu, en dehors de l’Espagne ; à Paris il jouit depuis quelques années d’un réel succès, et ses expositions de peintures sont toujours très prisées. Les journaux parisiens ont tous fait l’éloge d’une certaine « Carmen » peinte par l’artiste ; plus d’une fois il a dépeint les manières fantasques des gitanes de Prosper Mérimée, mais dans la peinture à laquelle je fais allusion ici il a atteint un succès considérable. La conception de cette « Carmen » était pour le moins peu conventionnelle ; elle n’était pas habillée de couleurs éclatantes, de même qu‘elle n’était pas dépeinte comme une créature effrontément séduisante possédée par une passion violente et ardente ; le svelte personnage semble presque fragile enveloppé dans un châle d’un noir sombre, et encore plus sombre est la lourde coiffure qui encadre mystérieusement son visage étonnamment fascinant. Les yeux sont brillants et pleins d’un feu malicieux et subtil ; la peau est dorée, et les lèvres voluptueuses aussi écarlates qu’une grenade mûre !

Juan Sala est couronné de succès en tant que portraitiste, deux de ses œuvres les plus abouties en la matière sont un portrait saisissant de Coquelin Aîné et de sa propre femme, qui est une brillante parisienne

Al insigne artista D. Juan Sala. Recuerdo de afectuosa amistad

À l’artiste distingué, monsieur Juan Sala. En souvenir d’une affectueuse amitié.