ENVOI - Jean-Paul Morin

Je n’ai pas connu Jean Sala, mon grand-père maternel. Né en 1869 à Barcelone, il meurt en 1918 en France où il a passé l’essentiel de sa vie.
J’avais 8 ans quand ma grand-mère maternelle, la femme de Jean Sala, décède en 1954. Ma mère Marie, Éliane, Odette Sala, épouse Morin avait trois ans lors du décès de son père. De ce fait, personne, jamais, ne put me dire qui était ce grand-père dont les peintures recouvraient les murs de l’hôtel particulier familial à Paris. Seuls quelques rares documents et quelques photos d’atelier, trouvés au fond d’une armoire dans un grenier, ont constitué le point de départ de mes recherches il y a maintenant plus de trente ans mais tout le cadre et le décor de mon enfance ont été marqués par le sceau de l’oeuvre de Jean Sala et sa présence.
Le premier tableau qui m’a été donné par mes parents au cours des années 70 et qui est venu décorer mes lieux de vie successifs est La Joueuse de tennis illustré sur la jaquette du présent catalogue raisonné ; ce tableau ne m’a jamais quitté. À partir de là ce fut comme une quête du Graal, une sorte d’investigation policière à la recherche des oeuvres et de tous les documents relatifs à Jean Sala. Connu, réputé, admiré de son vivant, j’ai pensé que Jean Sala ne méritait pas l’oubli qui le guettait et qu’il fallait restaurer son image, retrouver son oeuvre, et la faire connaître.
J’ai alors passé une grande partie de mes temps libres à parcourir les bibliothèques, à rechercher des catalogues de vente ou d’expositions et toutes sources d’information. Ce travail d’amateur mené sans réelle méthode ne pouvait satisfaire l’ami des musées que je suis, qui respecte et admire le travail scientifique des historiens de l’art.
Un jour grâce à Marie-Cécile Forest, conservateur du musée Gustave Moreau, j’ai eu la chance de rencontrer Dominique Lobstein, documentaliste au musée d’Orsay, qui a eu la gentillesse de bien vouloir me conseiller et me guider dans mes recherches. C’est grâce à lui que ce catalogue voit aujourd’hui le jour et je l’en remercie très chaleureusement et très sincèrement.
Enfin, il y a cinq ans, j’ai décidé de m’adresser à une personne capable de se consacrer à des recherches approfondies. La chance m’a une fois de plus souri et j’ai eu le grand bonheur de rencontrer Mireille de Lassus. Professionnelle de l’art, Mireille est une jeune femme de grande qualité : sérieuse, tenace, curieuse, exigeante dans sa démarche. Mireille s’est passionnée pour Jean Sala et son oeuvre. Le résultat est là : plus de 400 oeuvres recensées dont plus de la moitié illustrées, des notices très complètes, une bibliographie très riche, des références bien documentées dans un catalogue raisonné aussi beau qu’un livre d’art.
Un grand merci à tous mes amis et toute ma famille qui m’ont soutenu et aidé dans cette aventure et qui ont si souvent supporté mes dires et mes histoires relatives à la recherche de tableaux ou d’informations. Merci aussi à toute la branche familiale espagnole qui nous a beaucoup aidé dans la connaissance de la vie de Jean Sala et de celle de sa très nombreuse famille.
Grâce à tous les travaux réalisés j’ai appris à connaître mon grand-père et son oeuvre. J’ai ainsi pu le suivre à travers les expositions, les ventes et les musées, dans les relations qu’il put entretenir avec ses contemporains, chaque fois surpris de ce que la mémoire familiale avait oublié, et ravi de ce que je redécouvrais.
De tout cela je suis très fier et très heureux, je rends ici un hommage à son talent et à son oeuvre. C’est un grand honneur d’avoir un artiste d’un tel talent dans sa famille.
Merci à lui de tout ce qu’il nous a légué.


L'OEIL AUX AGUETS - Dominique Lobstein

Un arbre peut cacher la forêt. Ainsi, la personnalité protéiforme, donc envahissante, et toujours médiatisée de Picasso nous dissimule encore aujourd’hui l’existence de ses compatriotes, espagnols et peintres, dont la carrière se déroula en tout ou partie à Paris à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ils furent cependant légion à venir de Barcelone, de Madrid, de Séville et de bien d’autres lieux moins célèbres, et ils furent accueillis à bras ouverts par la critique et les amateurs parisiens. Le seul reproche adressé à nombre d’entre eux, probablement, et cela en fut un aux yeux de Picasso qui n’accepta jamais de participer à aucune manifestation officielle, est d’avoir voulu conquérir une reconnaissance publique au sein des Salons ou des Expositions universelles. Ces manifestations régulières qui drainèrent, au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale, le monde entier des amateurs vers les cimaises parisiennes, étaient désormais frappées d’ostracisme par bien des artistes et le sont toujours par une grande partie de ceux qui les étudient. La récente exposition Paris-Barcelone. De Gaudi à Miró (Paris, Galeries nationales du Grand-Palais, 2001-2002) entérine d’ailleurs ce clivage qui, au nom d’une certaine vision de la modernité , a restreint volontairement son champ d’étude à quelques individus en rejetant dans les limbes les créateurs qui, alors, mobilisaient aussi l’attention.
José Jimenez Aranda (1837-1903), Dionisio Baixeras-Verdaguer (1862-1943), Salvator
Sanchez-Barbudo (1857-1917), Manuel Benedito-Vives (1875-1963), etc. et des centaines d’autres dévoilèrent très tôt leur production devant le public parisien et leurs confrères français. Ils furent alors récompensés, collectionnés par des amateurs – ainsi, par Louis Jauvin d’Attainville (1803-1875) qui offrit au Louvre en 1875 une nature morte de Sébastian Gessa y Arias (1840-1915) –, et parfois même par l’État, comme Ignacio Zuloaga (1870-1945) qui bénéficia à deux reprises des libéralités publiques, en 1899, lorsque la Direction des beaux-arts lui acheta un des tableaux qu’il exposait au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts : Portraits. Mon oncle et mes deux cousines, et en 1901, année où il vendit La Naine Dona Mercedes, deux oeuvres qui, exception remarquable, apparaissent régulièrement sur les cimaises du musée d’Orsay.
Dans cette forêt touffue et inexplorée, étudiants, universitaires et conservateurs espagnols sont partis à la découverte de quelques individualités, et plusieurs expositions ont été consacrées à Zuloaga, déjà cité, à Santiago Rusinol y Prats (1861-1931) ainsi qu’à Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923) dont une partie des oeuvres est même venue aborder avec un grand succès aux rives de la Seine, au Petit-Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, en 2007. Une manifestation plus ambitieuse, à l’initiative de conservateurs français, devrait bientôt voir le jour qui s’intéressera à la peinture basque et aux échanges artistiques et esthétiques de part et d’autre des Pyrénées dans la mouvance d’un autre mal-connu, de l’art français celui-là, Léon Bonnat (1833-1922), originaire de Bayonne. Nul doute que les lecteurs du catalogue découvriront alors un
nouveau pan de l’histoire de l’art et quelques-uns de ses acteurs méconnus même si la recherche ne porte que sur une petite partie de l’Espagne.

Mais quel va être le sort de ceux qui, comme Picasso, n’ont plus entretenu que des rapports distants avec leur pays natal et ont vécu et travaillé jusqu’à leur dernier jour en France ?
Quelle pourra être la place d’un Juan Sala, né en 1869, en Espagne de parents espagnols, et mort Jean Sala, en 1918, en France, auprès d’une épouse française ? Les chercheurs espagnols l’ignoreront, le considérant probablement comme un étranger bien que ce soit le pavillon espagnol qui l’ait accueilli lors de l’Exposition universelle de 1900, et bien qu’en 1902 et 1904 encore, à Paris, il ait été présent aux expositions de l’Association des peintres espagnols. L’attitude des Français risque d’être identique à celle de leurs confrères espagnols malgré la présence du peintre à de multiples manifestations parisiennes et provinciales. L’artiste était donc appelé à demeurer dans les taillis de la méconnaissance si, à l’initiative des descendants du peintre, et en particulier de M. Jean-Paul Morin, et grâce au travail de recherche et de mise en forme de Mlle Mireille de Lassus, dans une vision au-delà des frontières et des clivages, cet ouvrage ne s’interrogeait sur l’homme et l’oeuvre Sala. Ainsi, ils le font revivre, parisien espagnol, hanté par certaines figures tutélaires de ses origines qui avaient aussi su séduire les visiteurs français sur les pas du général Hugo (1773-1828), à la suite de Prosper Mérimée (1803-1870) ou d’Adrien Dauzats (1808-1868), d’Édouard Manet (1832-1883) et d’Henri Regnault (1843-1871).

...... à suivre dans le catalogue raisonné.


JEAN SALA ET SES MODELES - Mireille de Lassus

En Espagne où Jean Sala est né, il est connu sous le nom de Juan Sala Gabriel, nom composé de celui de son père Jean Sala Gelonch et de celui de sa mère Antonia Gabriel Blanc. Juan Sala, Juan Sala Gabriel, Jean Sala, Jean Sala Gabriel sont bien les quatre appellations d’une seule et même personne. Des dates hasardeuses de naissance et de décès lui ont parfois été attribuées. Jean Sala est en réalité né le 4 février 1869 à Barcelone et décédé le 21 mai 1918 à Saint Gaultier (Indre). Il convient, pour éviter toute confusion, de le distinguer du maître-verrier, le catalan Jean Sala (1895-1976), peintre dans sa jeunesse, émigré vers 1905 en France. Juan Sala Gabriel s’y installe quant à lui une douzaine d’années plus tôt. Dès lors, c’est du nom de Jean Sala qu’il signe des
toiles dont l’ensemble permet de le distinguer comme un portraitiste aussi avisé que subtil.
Il n’existe, à notre connaissance, que trois autoportraits de Jean Sala. Il est possible que certains n’aient pas été retrouvés ; néanmoins il est loisible d’affirmer que, contrairement à nombre de ses contemporains, Jean Sala n’ait pas eu le goût de l’autoportrait. Les nombreuses photographies d’atelier retrouvées, la plupart signées d’Henri Manuel (1874-1947), montrent d’ailleurs Jean Sala posant avec complaisance. Ces photographies ont probablement joué pour lui le rôle de l’autoportrait.
Pour se représenter, Jean Sala reste dans la grande tradition des peintres du XIXe siècle, et ne joue pas avec son pinceau comme il joue avec l’objectif. Ses autoportraits sont d’abord des portraits de lui-même. Quoique deux d’entre eux ne soient pas datés, leur fidélité au modèle permet de les présenter par ordre chronologique. Les deux premiers Autoportrait (I · 17 et I · 18) sont sur fond neutre, camaïeu de bruns ou de verts. Jean Sala se représente en buste, de trois quarts, en cadrage serré. Le troisième Autoportrait (I · 19) connu n’est ni signé, ni situé, ni daté. Il se représente devant une architecture liturgique classique abritant une Vierge à l’enfant, qui le surplombe.
L’autoportrait n’était donc probablement pas la passion de Jean Sala. Il nous a en revanche laissé un certain nombre de portraits de famille. On retrouve des portraits de sa nièce Juliette Sala (1883-1971) (fille de son frère Tomas) qui a également servi de modèle à l’oeuvre Juillet (I · 31, loc. act. inc.) exposée au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1901, à l’Exposition de l’Association d’Artistes Espagnols de Paris en 1902, à la Société Lyonnaise des Beaux-Arts en 1903 et à l’Exposition internationale des Beaux-Arts de la Principauté de Monaco en 1904. Jean Sala a également réalisé des portraits de sa nièce : Mercedès Sala (I · 28) (1883-1974), soeur de Juliette ; de sa petite nièce : Francisca dite Paquita (I · 32) (1906-1997) (fille de Juliette), de son père Jean Sala Gelonch (I · 20 ; I · 21, loc. act. inc.), de son beau-père Nepthalie Auguste Weill (I · 33). Les deux Portrait de sa fille Odette (1915-2009) (I · 26 et I · 27), tendres et intimistes, sont de petit format et de cadrage serré. Jean Sala livre également des portraits de son frère aîné, Tomas Sala (1857-1952), lui-même peintre. Ce dernier, très réputé pour ses aquarelles et ses miniatures, avait peint, dans la crypte de l’église San José à Badalone, une remarquable Vierge de Lourdes.

Deux oeuvres concernant la vie de saint François sont également visibles dans cette église : Saint François parlant aux animaux ainsi que Saint François avant de mourir entouré de religieux de son ordre, qui reprennent des portraits de famille. C’est en constatant le goût pour la peinture de Tomas et de Juan, et leur talent, que leurs parents choisirent d’emménager à Barcelone, afin qu’ils aient la possibilité d’étudier à l’École des beaux-arts (dont Joan Miró (1893-1983) suivra également l’enseignement).
Enfin n’omettons pas de citer les Portraits de sa femme, Fernande Sala (1881-1954) (I · 24, loc. act. inc. et I · 25), également peintre, dont les oeuvres Vierge à l’Enfant et L’inspiration ont été respectivement exposées aux Salons de la Société nationale des Beaux-Arts de 1906 (n° 1081), et de 1907 (n° 1055). Villers-Wardell en parle comme d‘une « brillante Parisienne » .
Quelles rencontres ont pu amener Jean Sala à évoluer dans le monde du spectacle ? On pourrait penser que celle de Gabrielle Robinne (1886-1980), amie de Juliette, ait été déterminante. C’est elle que Jean Sala représente, en 1896, (I · 37), assise de trois quarts devant son piano. Cette enfant mélancolique deviendra célèbre en 1907, lorsqu’elle entrera à la Comédie Française où elle rencontrera son futur mari René Alexandre (1885-1946). « À ma Gaby, petit témoignage d’une grande affection » écrit Jean Sala sur le second portrait qu’il fait d’elle à l’époque de sa gloire.
Autre acteur illustre, Constant Coquelin (1841-1909) commande son portrait à Jean Sala vers 1908 (I · 57, loc. act. inc.). Dit “Coquelin Aîné”, il jouissait d’une renommée immense depuis son interprétation du rôle-titre de Cyrano de Bergerac en 1897. Le peintre en fait un portrait éminemment réaliste que, préfaçant le catalogue de l’exposition dans les salons du Figaro en 1909, Arsène Alexandre commente en ces termes : « mon regretté ami Coquelin, qui n’était point commode en peinture, […] estima assez M. Sala pour lui confier le soin de peindre de lui un portrait qui demeure un des documents physionomiques les plus précis et les plus véridiques que nous ayons sur l’auteur ».

.......... la suite dans le catalogue raisonné.